Les causeries des promeneurs solidaires
Laura Plas
Les Trois Coups
« La Terre parle quand on creuse » propose une forme aussi foisonnante que le vivant qu’elle défend. Nourri d’échanges entre artistes et journalistes, ce « docufriction » nous ouvre les yeux sur des crimes écologiques et humains perpétrés en France et nous invite à une promenade solidaire.
Qui a vu 1200 Tours ne s’étonnera peut-être pas qu’Aurélie Van Den Daele soit à la mise en scène d’un épisode de Grand ReporTERRE, rencontre théâtrale entre artistes et journalistes. Elle passe à cette fois du côté du documentaire pour évoquer le monde des médias. Précisément, pour cet épisode 6, la metteuse en scène a rencontré deux femmes qui ont enquêté en France : Morgan Large a dénoncé le fléau des algues vertes en Bretagne et Hélène Servel, celui de l’esclavage des travailleurs saisonniers des exploitations agricoles dans les Bouches du Rhône.
Les thématiques sont, on le voit, d’importance capitale. D’ailleurs, les enquêtrices ont subi intimidations et représailles pour avoir informé sur ces enjeux écologiques et humains. Pouvoir les entendre partager leurs découvertes, leurs démarches, les obstacles rencontrés suffirait à faire l’intérêt du spectacle. Non seulement l’équipe donne voix aux enquêtrices, mais elle les écoute. À ces « reporTERRES » qui refusent l’étiquette d’héroïnes, elle n’impose ainsi, ni de jouer, ni d’adopter un parler « théâtre ». L’une restera de profil souvent, face à son micro. L’autre sera soutenue par la gouaille d’un partenaire.
« Prendre soin de ceux et celles qui écoutent »
Parce que Morgan Large et Hélène Servel sont impliquées, engagées, les comédiens le seront aussi. Porté par son admiration pour une petite sœur venue du Sud, comme lui, Sidney Ali Mehelleb est en verve. Lauryne Lopes de Pina sait nous entraîner dans la danse (au sens propre et figuré) et soutenir Morgan Large. Quant aux spectateurs, ils sont eux-mêmes invités à quitter leur position assise-passive pour marcher avec les protagonistes, comme on a marché en Bretagne en soutien de Morgan Large, comme on part en manif malgré tout parce que le monde ne peut pas être ce qu’il est.
Après le très réussi Je crée et je vous dis pourquoi, Aurélie Van Daele nous propose donc une nouvelle déambulation qui nous permet de découvrir, de surcroît, de belles trouvailles scénographiques : telle une fresque ou une table de sable aux secrets bien gardés.
Nous allons donc de surprises en surprises, aussi bien visuelles que sonores. La terre parle. D’ailleurs, la belle installation du début, à la croisée des chemins, témoigne du souci apporté à la partition sonore. On perçoit des accents grâce aux enregistrements qui émaillent la représentation et se mêlent aux voix en live. On entend des langues. Par exemple, la puissante prose littéraire, poétique, lyrique du prologue et de l’épilogue coexistent avec les éructations et langue de bois d’oppresseurs. Comme Morgan Large l’explique à un maire rétif, son métier est de faire entendre tout le monde. Et sans doute, entendre la sœur d’un l’ouvrier agricole équatorien mort de soif dans un champ de melon en a-t-il encore une autre portée.
On pouvait s’interroger sur la greffe du journalisme à la scène. Ici, miracle, le théâtre apparaît bien comme le lieu où l’on se rassemble pour faire acte de mémoire, donner de la voix à celleux qu’on a voulu rendre muet.tes. Un espace pour écouter l’autre.
Laura Plas
La terre parle quand on creuse, d’Aurélie Van den Daele
Conception et mise en pièce de l’actualité : Aurélie Van Den Daele
Avec les journalistes : Morgan Large, Hélène Sevel
Avec les interprètes : Sidney Ali Mehelleb, Lauryne Lopes de Pina
Durée : 1 h 40
Dès 15 ans
Théâtre de l’Union CDN • 20, rue des Coopérateurs • 87000 Limoges
Du 14 au 18 octobre 2025
De 8 € à 24 €
Réservations : en ligne ou 05 55 79 90 00
Dans le cadre de Grand Reporterre
Tournée :
• Les 13 et 14 novembre, au Théâtre de La Renaissance / Théâtre du Point du jour, à Oullins (69)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Comètes, Métie Navajo ,Marylin Mattéi, , Théâtre de l’Union, Limoges
Photos : © Thierry Laporte