« Sopro », de Tiago Rodrigues, Cloître des Carmes, à Avignon

« Sopro » de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage

Inspiré

Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups

Dans « Sopro », Tiago Rodrigues invite Cristina Vidal, souffleuse au Teatro Nacional Dona Maria II, à quitter l’ombre pour la lumière. Elle monte sur scène, se donne à voir, et c’est l’occasion d’un vibrant hommage au spectacle vivant.

Lorsqu’il devient directeur artistique du Teatro Nacional Dona Maria II, Tiago Rodrigues fait la connaissance de Cristina Vidal, souffleuse depuis vingt-cinq ans. Cette femme le fascine, non tant parce qu’elle se porte garante du respect du texte, mais parce qu’elle est le témoin privilégié d’un art qui pourrait exhaler son dernier souffle. À la frontière entre la salle et la scène, elle soutient les comédiens, attentive à leurs moindres faiblesses, et elle assiste à leurs heures de gloire. Or les erreurs, les blancs, caractérisent le spectacle vivant. Pas de trou de mémoire au cinéma. Les failles de l’humain ne sont visibles qu’au théâtre. Le théâtre est un art de la parole, donc du souffle, mais aussi un art vivant, au souffle ténu.

La première difficulté de Tiago Rodrigues a été de convaincre Cristina, la femme de l’ombre, de se montrer. C’est ce qu’évoque avec humour la première partie du spectacle. Le rôle de la souffleuse et celui du directeur sont endossés par de jeunes comédiens. Cristina Vidal, en un souffle imperceptible, les anime les uns après les autres : elle passe derrière eux et leur confie une parole à transmettre au spectateur. Sa silhouette sombre, qui arpente le plateau, armée d’un texte et d’un chronomètre, anime les corps de manière démiurgique. Ensuite, elle leur confie ses souvenirs. Elle évoque sa première soirée au théâtre, à cinq ans, dans le trou du souffleur. Elle se remémore les représentations de l’Avare ou de pièces de Tchekhov. Elle fait revivre des comédiens à la mémoire fantaisiste, fait sourire le spectateur en faisant allusion à un acteur sourd d’une oreille… Le spectacle suscite aussi une émotion très forte, quand ressurgit le fantôme d’une comédienne subitement essoufflée, jouant les derniers vers de Bérénice.

« Sopro » de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage
« Sopro » de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage

Avignon, parfait pour rendre hommage au théâtre 

Et si le théâtre disparaissait ? Les économies, les réductions budgétaires, les réticences du politique vis-à-vis de la culture, le cinéma triomphant, l’arrogance du net, sont autant d’inquiétudes pour les artistes. Tiago Rodrigues et son scénographe Thomas Walgrave imaginent donc un théâtre en ruines. Mais ce décor, loin d’être triste, est de toute beauté. Un vieux parquet, des herbes qui poussent dans les interstices, et surtout, au fond, de grands draps blancs : ils se soulèvent au gré du vent, semblant à la fois cacher et révéler des espaces inconnus. Le public, à l’affût, cherche à découvrir ce qui lui est dissimulé, et ce spectacle exceptionnel lui dévoile finalement ce qui doit rester caché. C’est ainsi que derrière les voiles blancs, des projecteurs sont tournés vers le public, comme inversés.

Enfin, ce lieu dévasté s’accorde parfaitement au Cloître des Carmes, qui accueille des spectateurs depuis 1967. Il ne s’agit plus d’un espace religieux. Il suggère même que ce en quoi nous avons foi, et nous semble éternel, peut s’effondrer. D’ailleurs, on sourit lorsque le metteur en scène fait entendre des sons enregistrés du mistral, au début du spectacle : tant de spectacles du festival en plein air sont joués au milieu de rafales assourdissantes.

Ainsi, Sopro, grâce à Cristina Vidal, figure du souffle qui parcourt un plateau dépouillé, rend-il hommage au théâtre en ce qu’il a de plus essentiel : l’humain. 

Anne Cassou-Noguès


Sopro, de Tiago Rodrigues

Texte et mise en scène : Tiago Rodrigues

Extraits de Sopro

Scénographie et lumière : Thomas Walgrave

Avec : Isabelle Abreu, Beatriz Bras, Sofia Dias, Victor Roriz, João Pedro Vaz, Cristina Vidal

Photo : © Christophe Raynaud de Lage

Durée : 1 h 45

Cloître des Carmes • place des Carmes • 84000 Avignon

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Du 7 au 16 juillet 2017 (relâche le 11), à 22 heures

De 10 € à 29 €

Réservations : 04 90 14 14 14

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Dans le regard de l’autre, par Michel Dieuaide

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