Festival Spring 2025, Annonce, Normandie

« Faire corps avec le monde »

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Portée par La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, Spring se déploie sur toute la région jusqu’au 16 avril, avec 45 spectacles, dont une dizaine de créations. Avec pour thématique « Faire corps avec le monde », ce festival international des nouvelles formes de cirque s’affirme résolument ancré dans le réel. Une 16^eédition toujours aussi foisonnante, avec de beaux parcours pour tous.

Dans 65 lieux, coréalisé par la Métropole Rouen Normandie, ce festival est fondé sur une étroite synergie entre La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf. Spring est atypique parce qu’il se fonde sur la coopération des deux PNC, avec une trentaine de lieux partenaires dans la Manche, le Calvados, l’Orne, l’Eure et la Seine-Maritime, en investissant les équipements culturels, l’espace public et d’autres moins conventionnels tel le Centre hospitalier du Rouvray.

À sa tête par intérim, Lancelot Rétif et Hélène Debrix prennent le relais d’Yveline Rapeau. Un nouveau mode de gouvernance puisque la direction était assurée jusque-là par une seule et même personne, une directrice artistique exceptionnelle. C’est d’ailleurs elle qui a conçu cette édition, avant son départ à la retraite, car les créations nécessitent un long accompagnement, parfois trois ans en amont.

Raphaëlle Boitel et le Groupe Acrobatique de Tanger font l’ouverture. Pour KA-IN, la directrice de la cie L’Oublié(e) met en piste 13 acrobates virtuoses qui nous embarquent dans une épopée entre Europe et Afrique, cirque et ballet, tradition et modernité. C’est sans doute son spectacle le plus politique. Une réussite qui permet aux héritiers de cette acrobatie ancestrale marocaine de rayonner toujours plus (lire notre critique). Au terme de trois semaines intenses de répétitions, cette proposition inédite a embrasé le Cirque-Théâtre d’Elbeuf, lieu emblématique d’où partent plusieurs créations avant d’être diffusées dans le vaste réseau du festival, en milieu rural, comme en cœur urbain (KA-IN est à voir au Théâtre d’Hérouville, puis Dieppe).

« Et si c’est pas sûr, c’est pas peut-être » © Cie Takakrôar ; « Hot Dog » © Le Galactik Ensemble

C’est également le cas de Et si c’est pas sûr, c’est pas peut-être, des élucubrations hautement philosophiques sous yourte. Entre musique, performance du quotidien, théâtre et cirque, la cie Takakrôar développe une réflexion humoristique sur des sujets importants, mais « dont tout le monde se fout », dans un état d’esprit décalé à souhait. On compte une dizaine de représentations d’Isigny-Le-Buat à Saint-Aubin-Lès-Elbeuf, en passant notamment par Cherbourg-en-Cotentin.

Dans et au monde

Avec comme ligne de force « Faire corps avec le monde », Spring 2025 met donc en lumière notre époque, à travers des thématiques environnementales ou sociétales, interroge la place de l’humain dans son environnement et rappelle l’importance du « vivre ensemble » : « Vous l’aurez compris, le cirque ne va pas vous laisser tranquilles, et c’est tant mieux ! Parce que Faire corps avec le monde, pour les artistes de Spring, c’est partager avec nous leurs pensées intimes, flirter avec le risque, célébrer la spontanéité, ne pas se prendre au sérieux et aussi nous rappeler la fragilité lumineuse de nos existences. Et surtout, c’est être là avec nous, avec vous, pleinement en vie ! », écrivent dans leur éditorial Lancelot Rétif et Hélène Debrix.

De quel monde parle-t-on ? Et comment traduire physiquement un regard singulier ? Le Galactik Ensemble, à qui il est consacré un focus,envisage le corps« comme outil concret de résistance ou comme moyen de rendre le monde désirable, quand bien même il est saturé d’immonde. Car nous pensons qu’il s’agit d’une lutte et que créer en proposant une autre vision du monde, c’est déjà résister. Enfin oui, nous » faisons corps » avec le monde, en cultivant avec conscience notre liberté d’expression si précieuse et si fragile par les temps qui courent ».

Tandis que ce collectif fait l’expérience, avec beaucoup d’humour, de la réactivité face à des situations dangereuses (Frasques), Baro d’evel poétise l’absurdité de notre monde dans Qui som ? (lire la critique de Laura Plas). La vision acrobatique et sensible du grand Nord de Mathurin Bolze (cie MPTA), dans Immaqaa, ici peut-être, explore aussi cette thématique, sans limite et sans frontière (lire notre critique). Du froid polaire à l’ambiance explosive de Brûler d’envies, ne pas manquer le spectacle de sortie du CNAC (36^epromotion), mis en piste par Martin Palisse et David Gauchard, radical, intense (lire notre critique).

« Qui som ? », Baro d’evel © Christophe Raynaud de Lage ; « Brûler d’envies », 36^epromotion CNAC, Martin Palisse et David Gauchard © Christophe Raynaud de Lage

Outre le focus consacré au Galactik Ensemble, qui présente également Hot Dog, les projecteurs se braquent sur Les Filles du renard pâle (voir le focus), lesquelles expriment toute leurs Révoltes face au monde qui s’effondre (lire notre critique), avant leur création Roue giratoire, qui interroge l’immobilisme de nos sociétés et le besoin d’être en mouvement, de braver les dangers.

Urgences et crises, y compris existentielles

À la croisée de la danse, du théâtre, de la musique et des arts numériques, Loops (cie Kiaï) est une expérience de cirque hybride et immersive qui croise enjeux de société et récit intime. Cyrille Musy y évolue autour d’un trampoline symbolisant le mouvement cyclique, propice aux questionnements existentiels. Le travail de transformation du son, la toile, les ressorts et la structure de l’agrès résonnent en une composition musicale directement liée à la performance du voltigeur.

« Biographies », cie Ea Eo © Marc Lahore ; « Loops », Cyrille Musy © cie Kiaï ; « Ceramic Circus », Julian Vogel © Johana Rnischmacher

Biographies (cie EaEo) estdu jonglage intime qui s’interroge de façon originale sur le temps qui passe, avec des punchlines rythmées : que se passe-t-il dans la tête d’une artiste qui fait tout afin de ne pas rater son numéro ? Mot à mot, rime après rime, chaque balle devient un écho, chaque idée trouve son mouvement, entre peur de l’échec et euphorie de la réussite, entre fulgurances et digressions (lire notre critique).

De temps, il est encore question dans Ceramic Circus. Déjà, dans China Series, Julian Vogel, véritable homme-orchestre, était engagé à corps perdu dans une quête effrénée, s’emparant des objets du cirque traditionnel et de céramique pour les mettre en mouvement (lire notre critique). L’occasion de jouer avec les perceptions du public.

Enfin, saluons la Monographie de la cie Defracto qui défend depuis quinze ans un jonglage graphique, rythmique et expressif. Avec en piste Guillaume Martinet, sa dernière création associe jonglage et dessin, dans une version cartoon.

Ouvertures

Si les tournées régionales (120 représentations au total) constituent un véritable atout, la dimension internationale permet de faire découvrir des artistes marocains, anglais, belges ou suisses. Il y a deux ans, Spring mettait à l’honneur la création cirque de Flandre. En 2025, c’est en Finlande que le festival fait incursion, en présentant le travail de trois personnalités originaires de ce pays, mais installés en France depuis quelques années (voir le parcours).

« V », Viivi Roiha © Cosmin Cirstea ; « Trilokia », Jani Nuutinen © Philippe Laurenton

Outre les acrobates Elice Abonce Muhonen et Chloé Derrouaz (Galapiat Cirque et Muscle Pain Crew), dans un concert très physique Courbatures), Viivi Roiha partage ses états d’âme, dans V, son premier solo à la corde lisse écourtée. Quant à l’alchimiste Jani Nuutinen (Circa Aereo), il fait corps avec les éléments dans Trilokia, puisqu’il manipule les courants, les arbres, le fer et le feu (lire l’entretien avec Laura Plas). Magique et incandescent.

Auteurs en tandem et Mini Spring

Le dispositif Auteurs en tandem, initié en collaboration avec Artcena, soutenu par la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, le CDN de Caen, ainsi que l’Azimut PNC d’Antony Châtenay-Malabry, s’affirme incontournable. Il contribue à la vitalité des écritures contemporaines en provoquant un nouveau contexte de rencontre et de travail qui permet de faire résonner théâtralité, parole et langage circassien. Dans cette 5^eédition, Elsa Caillat et Marie Vauzelle expriment de façon sensible la place des mères dans la société et la manière dont l’arrivée d’un enfant modifie tout l’équilibre d’une vie pour Victoria Belen et Milena Czergo.

« Auteurs en tandem 2025 » © Artcena

Le temps fort dédié au jeune public (voir le parcours) se développe et se diversifie avec des spectacles à l’adresse des tout-petits, d’autres dès 9 ans ou familiaux. En plus de l’excellent Théorème du pissenlit, (les Tréteaux de France) (lire notre critique), nous conseillons de voir l’Enjeu, où deux acrobates membres de la compagnie El Nucleo s’amusent à confronter les différences culturelles qui ont impacté les règles de leurs jeux d’enfants. Jimmy Lozano vient de Colombie et Joana Pinard est franco-brésilienne. Et si les jeux portaient en eux les rapports de pouvoir de nos sociétés ? 11 propositions offrent l’occasion de premières expériences de spectateurs, notamment lors des Family Fun Days.

Voilà donc de nombreux moments de partage et de découvertes artistiques. De quoi célébrer, ensemble, le retour du printemps !

Léna Martinelli

Festival Spring

16^e édition, du 5 mars jusqu’au 16 avril 2025
Partout en Normandie
Festival porté par La Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie / La Brèche à Cherbourg et le Cirque-Théâtre d’Elbeuf
Site du festival
La programmation ici
Tous les lieux ici
Tarifs : de gratuit à 52 €
Réservations : 02 35 52 93 93 ou en ligne ou par mail
Abonnement Cotentin 3 spectacles : 30 € (en vente uniquement au 02 33 88 33 99 ou par mail)