« On ne badine pas avec l’amour », d’Alfred de Musset, Théâtre des Lucioles à Avignon

« On ne badine pas avec l’amour » © Bernard-Michel Palazon

Mortel orgueil amoureux !

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

L’Attrape-Théâtre, dirigé par Christophe Thiry, présente une version délicate et dynamique du drame sentimental de Musset, « On ne badine pas avec l’amour », au Théâtre des Lucioles.

Présentée en 1834 comme une « comédie » par le jeune Musset, la pièce On ne badine pas avec l’amour tient à la fois du proverbe dramatique (genre mondain des salons des xviie et xviiie siècles) et du drame romantique. La présence d’un chœur qui présente et commente l’action est aussi une référence à la tragédie grecque. Or, le caractère protéiforme de ce texte exquis se trouve pleinement exploité par la mise en scène de Christophe Thiry. Le Chœur devient ainsi un cousin de Puck – joué avec énergie et malice par la comédienne Kosa Morina. Les chorégraphies ou les chansons interprétées par la délicieuse Marion Guy (J’ai la mémoire qui flanche ou la Javanaise) rappellent le rôle des choreutes dans l’Antiquité grecque. Le personnage du Baron, qui représente le père typique de comédie, est incarné avec brio par Pierre Marzin, lequel module avec finesse les tonalités les plus diverses : comique grotesque, farce, tendresse et générosité. De même, la composition de la maigre bigote Dame Pluche par Lucile Durant permet d’allier le grotesque et la grâce (sa robe pâle et fluide fait d’ailleurs autant songer à celle d’une nonne qu’à celle d’une fée, et contraste avec ses grossières bottes de pluie).

La scénographie épurée permet non seulement de figurer la pluralité de lieux de la pièce – qui aboutissent à un cadre spatio-temporel vague –, mais surtout de mettre en valeur la vivacité des corps en liberté. Car c’est bien le mouvement qui caractérise ce spectacle. Les comédiens occupent l’espace scénique sans discontinuer : ils entrent et sortent dans une même scène, jouent plusieurs personnages, enchaînent en chœur les chorégraphies (en cercle, avec des tabourets), les tableaux vivants et les scènes plus tendues. Les ballets joyeux de ces comédiens, dont les costumes ocres rappellent la chair du corps, alternent donc avec des temps de pause plus tragiques. Et cette fluidité fait écho aux élans du cœur sans cesse brisés qu’évoque le texte : l’amour, l’innocence, la nature sont contrariés par l’orgueil produit par l’éducation…

En effet, On ne badine pas avec l’amour met face à face deux cousins séparés depuis dix ans : Camille a vécu au couvent, a subi l’influence de nonnes désenchantées par l’amour et a donc peur de souffrir ; Perdican a fait des études, a connu des femmes, mais il conserve une nostalgie de son enfance et a peur de vieillir. Le Baron souhaite les marier, mais il se heurte aux idéaux opposés des amants – fruits de leur éducation : l’amour du Christ pour elle, l’amour de la nature et de l’enfance perdue pour lui. Leurs retrouvailles sont d’ailleurs symboliques puisque Perdican regarde un héliotrope et Camille, le portrait d’une nonne… Ils s’aiment pourtant ! Mais ils préfèrent porter un masque ou jouer avec les autres (la jeune paysanne Rosette). Ces jeunes premiers sont entourés par des précepteurs antagonistes, à leur image : une dévote, Dame Pluche, et un jouisseur, Maître Blazius. Lorsque Perdican et Camille finissent par se réconcilier dans un oratoire, dans le troisième et dernier acte, leur badinage amoureux a déjà eu des conséquences mortelles…

J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé

La fringante troupe de L’Attrape-Théâtre nous rappelle ainsi avec Musset (lequel s’inspire de son histoire avec George Sand et lui emprunte des mots) à quel point l’orgueil pervertit la nature et l’amour. Et avec eux, nous communions tous pour célébrer l’énergie vitale de l’amour, dans ce « monde [qui] n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ». Comment résister à ces mots sublimes ? « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ». 

Lorène de Bonnay


On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset

L’Attrape-Théâtre • 19, Grande-Rue • 77580 Guérard

01 64 65 64 65

Site : http://www.attrapetheatre.fr

Courriel : attrapetheatre@orange.fr

Mise en scène : Christophe Thiry

Avec : Pierre Marzin, Anna Sorin, Sébastien Ehlinger, Marion Guy, Kosa Morina, Lucile Durant, Francis Bolela, Stanislas de la Tousche

Lumières : Cyril David

Costumes : Annamaria Di Mambro

Photos : © Bernard-Michel Palazon

Affiche et tract : Clément Laurentin

Théâtre des Lucioles • 10, rue des Remparts • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 05 51

Du 5 au 27 juillet 2014, à 15 h 55

Durée : 1 h 30

16 € | 11 €

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