La rentrée théâtrale
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Pour cette sélection de rentrée, concentrons-nous sur quelques pièces car, on ne va pas s’en plaindre, les propositions foisonnent. Mais pour commencer, signalons une commémoration : le Lucernaire a fêté ses 50 ans ce week-end.
Toutes les générations s’y côtoient grâce à une programmation éclectique. Si le lieu a su, au fil du temps, se développer en créant une école de théâtre, une section tournée, Le Lucernaire est resté le même : depuis ses débuts, c’est une ruche, un vivier de talents. D’ailleurs, le Prix Lucernaire Terzieff De Boysson récompense chaque année une création contemporaine. De nombreux comédiens ou humoristes ont commencé là-bas par jouer : Laurent Terzieff, Gérard Depardieu, Michaël Lonsdale, Sylvie Joly, Dany Boon, Michel Boujenah, Judith Magre, Claude Piéplu, ou encore Denis Lavant. L’exposition 1969-2019 : 50 ans d’émotions, visible dans la galerie jusqu’à la fin de l’année, retrace quelques-uns de ces moments mémorables.
Des classiques intemporels
Ne surtout pas manquer les super productions, dont deux inspirées par l’indémodable Feydeau : La Puce à l’Oreille, dirigée par Lilo Baur avec la troupe étincelante de la Comédie-Française et La Dame de chez Maxim, mise en scène par la talentueuse Zabou Breitman (lire la critique ici), avec une belle distribution (Lea Drucker, Micha Lescot, André Marcon…), au Théâtre de la Porte Saint-Martin, qui frappe fort cette saison.
Décidément, le théâtre privé monte de plus en plus de classiques ! Pour sa deuxième saison, La Scala fait aussi l’évènement avec une nouvelle version de Galilée, de Brecht, mise en scène par Claudia Stavisky, avec Philippe Torreton dans le rôle titre. Par ailleurs, saluons la reprise de deux grand succès récents : Mademoiselle Julie, de Strindberg, mise en scène de Julie Brochen, avec la rayonnante Anna Mougladis, à l’Atelier, et Tchekhov à la folie, de Jean-Louis Benoît, au Poche Montparnasse, dont la programmation de Stéphanie Tesson et Charlotte Rondelez est à suivre de près.
Dans la Demande en mariage ou L’Ours, l’auteur russe, étonnamment farceur, fait preuve d’une violence grotesque incomparable. On découvre un féroce humoriste. Le rythme endiablé, la cocasserie des situations, la folie de ces personnages nous emportent loin du Tchekhov « chantre des crépuscules ».
En diptyque comme en approfondissement d’Ithaque (créé en 2018), Christiane Jatahy (artiste associée au Centquatre) revient à Homère pour s’emparer de la tragédie des migrations contemporaines et de la résurgence des nationalismes dans le Présent qui déborde (au Centquatre, avec l’Odéon – Théâtre de l’Europe). L’Odyssée symbolise toutes les grandes aventures humaines. Blandine Savetier a, quant à elle, choisi de la traverser pour questionner notre rapport au héros aujourd’hui. Au-delà du style épique, elle entraînera les spectateurs du Pavillon Villette dans cette épopée fondatrice en leur faisant entendre son actualité, sous forme de feuilleton théâtral, comme elle l’a fait à Avignon cet été.
Avant une grande tournée, Jacques Vincey crée l’Île des esclaves, de Marivaux, au Théâtre Olympia, CDN de Tours qu’il dirige, tandis que l’excellente version du Misanthrope, d’Alain Françon poursuit sa route (lire la critique ici). Pour l’un comme pour l’autre, une dramaturgie passionnante et une esthétique élaborée.
Pièces contemporaines
Oui, les classiques auront toujours des choses à nous dire de nous-mêmes ! C’est sans doute pourquoi des créations contemporaines s’en inspirent. Au Théâtre du Soleil, Simon Abkarian revisite la tragédie grecque avec une Électre des bas-fonds de chair et de sang. Après les « tragédies de quartier » (Le Dernier Jour du jeûne et L’Envol des cigognes), une histoire de vengeance terriblement moderne.
Quelle est donc la rentrée à La Colline, dont la mission est justement de défendre les auteurs contemporains ? Alors que dans la petite salle, on peut voir Points de non-retour d’Alexandra Badea, laissons-nous tenter par Data Mossoul : Joséphine Serre interroge la puissance de l’écriture dans son rapport à l’intime, mais aussi à la mémoire, aux civilisations, au temps, à l’autre, à la vie, à la mort et à l’absence. Avec, en filigrane, la figure de Gilgamesh, roi mythique sumérien dévoré par le désir de trouver l’immortalité, et héros du premier récit de l’histoire de l’humanité (dont s’inspire aussi Akram Khan dans Outwitting the devil).
Toujours du côté des institutions, l’Odéon programme à nouveau Falk Richter, l’une des personnalités théâtrales les plus en vue de ces dernières années. Dans I am Europe, le dramaturge allemand continue de mener ses recherches : quel sens donner à des concepts tels qu’origine, patrie, foyer, dans une communauté aujourd’hui en crise, menacée par un retour des nationalismes et des populismes ? À défaut de répondre, comment l’art peut-il répliquer ? La dernière mise en scène de Katie Mitchell ouvre aussi la saison de l’Odéon : Orlando de Virginia Woolf aborde la question passionnante de l’identité mouvante et énigmatique de l’individu, à travers un dispositif vidéo très dense. La pièce est servie par la troupe exquise de la Schaubühne.
Architecture, la fresque de Pascal Rambert chahutée à Avignon, tourne, elle aussi, à commencer par le TNB Rennes. Cette histoire tragique d’une grande famille autrichienne, juste avant la première guerre mondiale jusqu’aux prémisses de la seconde, se joue avec la fine fleur des comédiens français, dont Emmanuelle Béart, Anne Brochet, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux et Jacques Weber.
Autre distribution trois étoiles : Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin et Alain Fromager reprennent Art au Théâtre Antoine. De l’éloquence au service du rire ! Écrite en 1994 et traduite dans une quarantaine de langues, la pièce a été jouée et primée dans le monde entier. C’est l’un des plus grands succès du théâtre privé français (lire la critique ici).
Ce dernier, contrairement aux idées reçues, ne se limite pas au divertissement. En effet, il sait conjuguer humour et réflexion sur la société. La trilogie de Nicolas Lambert au Théâtre de Belleville en est un autre exemple, mais sur un sujet bien plus inquiétant. Les menaces sur la démocratie y sont déclinées à travers trois volets qui questionnent notre république et se proposent d’observer trois domaines régaliens : pétrole (bleu), nucléaire (blanc), armement (rouge) : Elf, la pompe Afrique ; Avenir Radieux, une fission française ; le Maniement des Larmes. On y court, car c’est instructif, sans être barbant, bien au contraire !
En ce qui concerne le jeune public, hormis la reprise de l’adaptation somptueuse du Livre de la jungle, de Robert Wilson au 13e Art, ne pas manquer Oh Boy ! d’Olivier Letellier, au Monfort, auréolé par un Molière en 2010 (qui a déjà beaucoup tourné). Voilà une belle occasion pour des plus jeunes de se plonger dans l’histoire simple et bouleversante d’une fratrie, celle de Bart que rien ne prédisposait à devoir assumer une famille tombée du ciel. Un conte moderne qui soulève les questions de la normalité ou de la quête des origines en abordant, avec force et humour, les sujets délicats de la maladie ou de l’adoption. ¶
Léna Martinelli
1969-2019 : 50 ans d’émotions, exposition photo • Lucernaire, jusqu’à la fin de l’année • Plus d’infos ici
La Puce à l’Oreille, dirigée par Lilo Baur • Comédie-Française, du 21 septembre 2019 au 23 février 2020 • Plus d’infos ici
La Dame de chez Maxim, de Feydeau, mise en scène de Zabou Breitman • Théâtre de la Porte Saint-Martin, du 10 septembre au 17 novembre 2019 • Plus d’infos ici
Galilée, de Brecht, mise en scène de Claudia Stavisky • La Scala, du 10 septembre au 9 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Mademoiselle Julie, de Strindberg, mise en scène de Julie Brochen • L’Atelier, du 1er octobre au 3 novembre 2019 • Plus d’infos ici
Le Misanthrope, de Molière, mise en scène d’Alain Françon • Théâtre de la Ville à l’Espace Cardin, du 18 septembre au 12 octobre 2019, au Théâtre national de Strasbourg du 16 au 21 octobre et du 4 au 9 novembre • Plus d’infos ici et ici
L’Île des esclaves, de Marivaux, mise en scène de Jacques Vincey • Théâtre Olympia, CDN de Tours, du 25 septembre au 5 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Tchekhov à la folie, de Jean-Louis Benoît • Poche Montparnasse, depuis le 30 août 2019 • Plus d’infos ici
Électre des bas-fonds, de Simon Abkarian • Théâtre du Soleil, du 25 septembre au 3 novembre 2019 • Plus d’infos ici
Le Présent qui déborde, d’après Homère, mise en scène de Christiane Jatahy • Centquatre, du 1er au 17 novembre 2019 • Plus d’infos ici
L’Odyssée, d’après Homère, mise en scène de Blandine Savetier • Pavillon Villette, du 10 au 20 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Data Mossoul, de Joséphine Serre La Colline – Théâtre national, du 18 septembre au 12 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Points de non-retour, d’Alexandra Badea, La Colline – Théâtre national, du 19 septembre au 14 octobre 2019 • Plus d’infos ici
I am Europe, de Falk Richter • Odéon – Ateliers Berthier, du 19 septembre au 9 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Orlando, de Katie Mitchell • Odéon, 6e, du 20 au 29 septembre 2019 • Plus d’infos ici
Architecture, Pascal Rambert • TNB Rennes, du 26 septembre au 5 octobre 2019 et aux Bouffes du Nord à Paris du 6 au 22 décembre • Plus d’infos ici et ici
Art, de Yasmina Reza, mise en scène de Patrice Kerbrat • Théâtre Antoine, du 26 septembre au 31 décembre 2019 • Plus d’infos ici
L’a-démocratie, de Nicolas Lambert • Théâtre de Belleville, du 7 octobre au 28 décembre 2019 • Plus d’infos ici
Jungle Book, de Robert Wilson • Théâtre de la Ville – 13e Art, du 6 octobre au 8 novembre 2019 Plus d’infos ici
Oh Boy !, d’Olivier Letellier • Monfort, du 15 au 19 octobre 2019 • Plus d’infos ici
Une réponse
Ce n’est la « rentrée théâtrale », c’est la rentrée théâtrale de grosses prod, c’est différent