Un mois de cirque en région Sud avec la BIAC !
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Cela fait deux ans qu’on l’attend : la Biennale Internationale des Arts du Cirque se déroulera du 9 janvier au 9 février. L’occasion de (re)voir les dernières créations de Raphaëlle Boitel, circassienne à l’honneur cette année. Parmi les 66 propositions, au total, nous en avons couvert presque une vingtaine, mais nous en découvrirons de nombreuses autres. Pour s’élancer vers 2025, du (beau) monde est en effet attendu sur la piste, avec beaucoup de grands formats, dont 12 sous chapiteaux. Une 6e édition qui se veut « toujours plus variée et inclusive ».
Du littoral méditerranéen aux sommets alpins, plus de 100.000 spectateurs sont attendus. Depuis Marseille, la BIAC rayonne de Marseille à Avignon, en passant par Aix-en-Provence et Arles. Porté par Archaos, cet événement circassien d’envergure peut se faire grâce au réseau exceptionnel de partenaires : « Comme le·a funambule, la programmation de la BIAC exige équilibre et partage. Nous sommes 55 structures culturelles à construire ensemble, dans la diversité, ce patchwork de la création contemporaine. Tous les lieux sont possibles pour tous les formats : chapiteaux, salles de spectacle, espaces non dédiés, espaces publics. Sur terre, dans l’eau ou dans les airs, le cirque est collectif pour que la rencontre existe », lit-on dans l’édito.
230 représentations seront donc proposées. 15 créations sont attendues, ainsi que 2 reprises de répertoire (une notion à laquelle tient la direction). Les plages du Prado à Marseille constituent le cœur de la manifestation. Du 16 janvier au 8 février, quatre chapiteaux hisseront leur toile face à la mer : la cie NoFit State Circus, la cie Rasposo et Cirque La Compagnie, sans oublier le Magic Miroir.
Temps forts
Entre le week-end d’ouverture et la journée de clôture, plusieurs événements ponctueront ce mois de festivités. À l’inauguration, concoctée en partenariat avec la Friche La Belle de Mai, les 11 et 12 janvier, le cirque se mettra dans tous ses états, soit deux jours de fête et de découvertes artistiques pour petits et grands, entre amis ou en famille. Quel cirque ! est l’occasion de rencontres et de dialogues dans l’espace public.
Tout comme Au bout la Mer, Cirque !, qui proposera des animations et spectacles gratuits le 9 février sur la Canebière et le Vieux Port. À ne pas manquer, Naïade, préambule (cie Out of the Blue). Quatre apnéistes acrobates évolueront dans un aquarium géant (on avait beaucoup aimé leur précédent opus).
Entre les deux, la semaine des Rencontres professionnelles se déroulera du 21 au 25 janvier. 300 professionnels, dont 150 internationaux, sont attendus.
« Le Récit des yeux », cie Sombra © Mati Gentillon ; « Bleu tenace », Chloé Moglia – cie Rhizome © Fanny Brancourt
En partenariat avec Avignon, Terre de Culture 2025 célébrera un double anniversaire : il y a 25 ans, la Cité des papes a été désignée Capitale européenne de la Culture et il y a 30 ans, la ville est entrée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le week-end d’ouverture de cette année d’effervescence, du 10 au 12 janvier, coïncide avec le début de la BIAC. À cette occasion, la Ville d’Avignon a sollicité Archaos pour proposer un programme spécial le dimanche lors de l’inauguration du parc Champfleury, avec notamment l’intriguant Récit des yeux (cie Sombra) et l’hypnotique O.N.D.E (cie Cirque graphique).
Le Mucem et Archaos ont imaginé 5 week-ends de spectacles et d’ateliers dans le cadre de Pulsations ! Plus que jamais, la découverte est de mise autour des traditions populaires et de la création artistique. Une programmation conçue en écho à l’exposition En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques (scénographie de Macha Makeïeff), à voir jusqu’au 12 mai 2025.
Ne pas manquer non plus notre futur reportage au festival des arts du geste Les Élancées, se déroulant du 23 janvier au 9 février, sur 7 communes, avec plusieurs spectacles en commun, dont le très attendu Fame TV (lire notre entretien avec le collectif TBTF).
Circassiennes à l’honneur
« La moitié de la programmation est portée par des femmes. Enfin la parité. Ouf ! », s’est exclamée, en introduction de la conférence de presse, Raquel Rache de Andrade, directrice d’Archaos aux côtés de Guy et Simon Carrara. Après Fanny Soriano, la BIAC met à l’honneur la metteuse en scène et chorégraphe Raphaëlle Boitel, figure incontournable du cirque contemporain, qui place d’ailleurs souvent les femmes au centre de son travail : « Avoir l’opportunité de jouer un répertoire sur un même territoire est l’occasion, quasi unique, d’assembler toutes les pièces du puzzle qui fondent une écriture », écrit celle-ci.
Le public aura donc l’occasion de découvrir quatre opus de la cie L’oublié(e), dont sa dernière création Petite Reine, pièce clownesque et mordante sur l’emprise (lire notre critique). Dans la Bête noire, Raphaëlle Boitel s’adonne à une chorégraphie performative : n’être plus qu’un corps ! Un corps déshumanisé… (lire notre critique).
Encore des émotions intenses : Ombres portées, un tableau visuel narratif pensé comme une œuvre cinématographique à mi-chemin entre cirque, théâtre et danse (lire notre critique) ; quant à la Chute des anges, ce chef-d’œuvre déploie la figure céleste pour évoquer l’humanité en perdition, les effondrements de notre époque, jusqu’à la révolte de l’un de ces anges déchus.
D’autres circassiennes de talent présenteront leur création. Outre la reprise de Bleu tenace, Chloé Moglia – cie Rhizome ouvre la BIAC avec la Spire : sur une structure monumentale, cinq suspensives s’élancent dans les airs au rythme d’une musique live. Entre jeu d’équilibristes et ballet aérien, cette invitation à la contemplation nous permet, un temps, d’échapper à l’agitation du monde. La circassienne la clôture également, avec Rouge merveille, un poème musical qui défie encore la pesanteur, à six mètres de haut. Planant !
Marie Molliens – cie Rasposo a 2 spectacles à l’affiche: dans Oraison, quatre clowns tentent de rallumer nos lumières, jouant avec sensibilité des codes du cirque (lire notre critique) ; Hourvari interroge la fugacité de la vie, nos vanités et nos ivresses. On est fan !
On retrouve avec bonheur la cie Basinga, découverte à la BIAC 2015 (lire notre article). Depuis, elle en a fait du chemin ! Soka Tira Osoa est sa nouvelle performance funambule où chacun (artiste, technicien, musicien et spectateur) joue un rôle aussi essentiel qu’inattendu.
Dans Fora, la contorsionniste Alice Rende cherche à s’extirper de sa boîte. Au-delà de cette lutte, un combat intérieur plus intime se joue et donne à voir magnifiquement ses murs invisibles. Un solo saisissant (lire la critique).
Joana Nicioli (cie Ruyna) signe son premier solo, Kahkos. Une pièce de mât chinois au croisement de l’acrobatie, de la danse et du théâtre. Au travers de fragments de vie, autant de moments de force et de faiblesse, la circassienne invite le public à s’interroger sur la place des femmes aujourd’hui : leurs désirs et barrières, leurs rapports au corps, que ce soit dans l’intimité ou en société.
« Soka Tira Osoa », cie Basinga © Pierre Plancheneault ; « Pandax » Cirque la Compagnie © Juliette Mach ; « Heka », Gandini Juggling © Camilla Greenwell ; « Yongoyeli », Circus Baobab © Thomas O’Brien
La BIAC c’est également et toujours l’occasion de valoriser les artistes internationaux. En écho à l’année de la France au Brésil, une troisième artiste a intégré la programmation : Maïra de Oliveira Aggio avec Macacada, étude d’une singe brésilienne.
Changement de continent, avec la création Yongoyély, de la cie guinéenne Circus Baobab, qui rendra un hommage aux femmes africaines. C’est une première mondiale et quand on voit le succès de la précédente création (lire la critique de Florence Douroux), on est fébrile.
Les grands formats
En avant-première, Entre chiens et loups est un voyage au cœur d’une démarche hors normes : Camille et Manolo développent, depuis trente ans, au Théâtre du Centaure, une relation intime entre humains et chevaux. Incontournable !
Concernant Entre chiens et louves, créé au mythique magasin parisien Le Bon Marché, le Cirque Le Roux a vu les choses en grand. Il nous emmène en voyage dans le temps, de 1870 à nos jours. Un récit épique, fait de révoltes et d’émancipations. Un spectacle irrigué par des valeurs d’amitié et de solidarité, avec son lot de prouesses.
Salto (El Nucleo) explore les limites : toujours plus haut et plus longtemps ! Ce show est avant tout une réflexion sur le grand saut, que chacun choisit (ou pas) de faire. Il questionne de multiples enjeux sociaux, nos prises de décision et nos modes d’action (lire notre critique). C’est vitaminé à souhait.
Dans Sabotage, les neuf acrobates de la compagnie galloise NoFit State Circus, accompagnés de trois musiciens, bousculent les codes traditionnels du cirque. Les numéros de haute voltige nous parlent d’un monde mis à rude épreuve, en proie à de multiples rapports de force : déplacement de population, crise climatique, autant de sujets délicats abordés avec audace. À découvrir !
Face aux murs (cie Hors surface) est un miroir. Dans une scénographie en constante transformation, deux grands trampolines font face à des parois en plexiglass. Sept circassiens y tombent et rebondissent sans discontinuer. Ils font face au présent et au futur, un monde imprévisible. Spectaculaire !
Pandax (Cirque la compagnie) relate le voyage d’une fratrie et de leur père, dans une urne, qui se transforme en épopée acrobatique et burlesque. Le deuil porté au sommet de la vie. On l’a déjà vu deux fois mais on ne s’en lasse pas (lire notre critique).
Joyeux inventaire né d’une rencontre de comédiens et de circassiens (Le Was Groupe), À tout rompre brode et amuse sur le thème des ruptures (pas seulement amoureuses), proposant une dramaturgie plutôt maline (lire la critique de Laura Plas).
Fantaisies
D’autres spectacles, plus intimistes, se situent au plus près du vécu et des émotions des créateurs. C’est le cas du Repos du guerrier, une auto-fiction d’Édouard Peurichard, lauréat 2023 du label européen Circusnext. Ce projet personnel se vit comme une expérience (lire notre critique). Original !
« Le Cabaret renversé », La Faux Populaire © Ruben Silozio Sabine Chalaguier ; « Décrochez-moi ça », Bêtes de foire © Vincent Muteau ; « À tout rompre », Le Was Group MPTA © Brice Robert
Ceux friands d’imaginaire forain iront voir Bêtes de foire. Baroque, déglingué, voire complètement barré, Décrochez-moi-ça fait, d’un bric-à-brac de costumes et accessoires, un poème musical inventif (lire la critique). Également sous chapiteau, le Cabaret renversé (La Faux Populaire) n’a rien de classique, comme son titre le laisse entendre. De façon malicieuse, le duo d’acrobates musiciens bouscule les tabous sur la vie de couple, avec des numéros revisités de fond en comble (lire notre critique).
Parmi les propositions insolites, plusieurs allient pratiques circassiennes et burlesques, ou philosophie, tel Heka où Gandini Juggling repousse les limites de la magie et de la jonglerie. Le Vertige de l’envers (L’Envolée Cirque) questionne aussi les différents niveaux de perception du monde qui nous entoure, mais pour les plus jeunes, au moyen de gestes illusionnistes et circassiens. Dans Évidences inconnues, les performances et installations de Kurt Demey aiguisent nos sens, stimulent notre désir de connaître la face cachée des choses.
« Évidences inconnues », Kurt Demey © A. Catel ; « L’Absolu », Boris Gibé © D. Matvejevas
L’Absolu, cirque métaphysique de Boris Gibé, est une méditation poétique sur la condition humaine. Radicale et innovante (lire notre critique).Quant à Trilokia, c’est une exploration des beautés du diable (lire l’entretien de Laura Plas avec Jani Nuutinen). Quelle intensité !
Comme on peut le constater, la programmation affiche une grande variété de processus créatifs et de démarches. Dans un heureux alliage du mouvement et des arts numériques, Adrien Mondot et Claire Bardainne ont inventé En amour, une expérience immersive et interactive, à l’intersection du spectacle vivant, de la performance et de l’installation d’art visuel. Une histoire intime qui, progressivement, s’ouvre sur quelque chose de plus grand que nous. Extraordinaire !
Enfin, sur la Planète Cirque, exposition plus classique, si l’on peut dire, on s’offrira une plongée dans l’univers du cirque contemporain à travers l’objectif de talentueux photographes : Philippe Cibille, le duo Yohanne Lamoulère et Justine Fournier, Jean Barak.
Diversité et accessibilité
La présence géographique régionale de la Biennale permet de capter un public très diversifié, parfois éloigné des salles : « Le cirque est une entrée intéressante quand on veut ouvrir en grand les portes de la culture », affirme Nicole Joulia, vice-présidente chargée de la Culture au sein du Département des Bouches-du-Rhône.
Les tarifs sont quand même adaptés afin d’offrir à tous un accès à la culture et à la pratique artistique. Les acteurs du champ scolaire et social bénéficient de places à 4 € sur une sélection de 7 spectacles au Village Chapiteaux et au Théâtre du Centaure. 5 spectacles en plein air sont gratuits. De plus, des projets contribuent à renforcer le lien social tout en stimulant l’imagination et la créativité personnelles.
Chapiteau Les Colporteurs en 2023 © Jérémy Paulin ; Parcours Zélés © Fanny Magot
Outils de médiation innovant, les Parcours Zélés proposaient déjà, en 2023, aux jeunes marseillais, un parcours du spectateur dans le but de les amener à la découverte du cirque contemporain. Le kit apporte un contenu pédagogique pour prolonger l’expérience sous différentes formes de relations avec l’œuvre. Cela permet de développer l’expression des élèves, de cultiver la sensibilité et la curiosité. En 2024-2025, c’est une quarantaine de classes qui participeront à ce projet avec leurs enseignants. La ville de Vitrolles, le Théâtre de la Licorne à Cannes et le Pôle Arts en circulation à Le Revest-les-Eaux se lancent dans l’aventure.X
Léna Martinelli
Biennale Internationale des Arts du Cirque 2025
6e édition, du 9 janvier au 9 février
Site Internet
Archaos PNC • 22, bd de la Méditerranée • 13015 Marseille • Tel. : 04 91 55 62 41 • Mail
Région Sud-Provence Alpes Côte d’Azur
Toute la programmation
Pass journée de 35 € à 55 €
Réservations en ligne
Ouverture du Village Chapiteaux 1 heure avant les spectacles
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ BIAC 2023, annonce, par Léna Martinelli
☛ BIAC 2017, reportage de Léna Martinelli
☛ BIAC 2015, reportage de Léna Martinelli
Photos : © Yohanne Lamoulère